Une femme qui pleure, se prenant les mains dans la tête

Les violences conjugales 

« En France, tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son partenaire. Ces chiffres sont la partie statistiquement visible des violences conjugales qui ne sont pas répertoriés, mais bien réelles : les blessures suite aux coups, les séquelles irréversibles… les humiliations, les enfants terrorisés, la peur… » (introduction au vœu N°1 voté lors du Congrès FEEBF 2018 à Lyon. Le texte complet est disponible sur le site de la Fédération baptiste : congres-feebf-2018-voeu-recommandation-contre-les-violences-conjugales.)

En septembre 2019, la veille de l’ouverture du Grenelle contre les violences conjugales, une femme de 92 ans a été tuée par les coups de son mari, 94 ans. Ce fut le 101e féminicide conjugal de l’année 2019. Ainsi dans notre pays, tous les deux jours et demi, une femme meurt sous les coups de son mari (ou ex) ; plus de deux millions de femmes sont victimes de violences sexuelles, psychologiques, spirituelles au sein de leur couple et quatre millions d’enfants grandissent dans un climat de violences conjugales.

Le drame de la violence conjugale touche également nos Églises évangéliques, nos familles chrétiennes avec un facteur aggravant : certains enseignements abusifs sur la soumission de la femme renforcent le poids du silence et la difficulté pour des épouses de parler, d’oser dire « non » afin de faire cesser leur cauchemar quotidien.

Il y a beaucoup d’histoires de couples dans la Bible. Certaines positives, comme celle exposée de façon étiologique au commencement entre Adam et Eve, voulus comme vis-à-vis l’un pour l’autre par Dieu. Le message clé sur le couple en Genèse 1 et 2, avant la chute, c’est la valorisation du différent, l’égale dignité de l’homme et de la femme (tous deux à l’image de Dieu) et leur autorité partagée (tous deux en mandat pour gérer la terre). Dès l’origine, les textes bibliques parlent de « s’attacher l’un à l’autre », une alliance entre les conjoints qui implique des engagements mais aussi des droits, notamment la nécessité du consentement et le respect.

Même si l’on ne trouve pas de récit correspondant en détails à une situation de violence conjugale (la violence conjugale est à distinguer du conflit de couple : il s’agit d’un système d’emprise où la victime est humiliée, contrôlée par son partenaire qui veut lui faire mal délibérément), de nombreux textes bibliques présentent des couples dans des relations violentes, mais cette violence est toujours considérée comme conséquence de la chute, péché condamnable. La situation est résumée en Gn 3,16 après la chute : « Ton désir se portera vers ton mari mais il dominera sur toi », c’est-à-dire la femme ira à la rencontre de l’homme pour une relation de communion mais le fait est, qu’elle trouvera un rapport de force. De fait, dès les premiers chapitres apparait la polygamie (avec Lémek en Gn 4.19), forme de violence et on constate que c’est le moment où va disparaître tout nom de femme dans les généalogies (à part comme « l’épouse de… »). Les générations suivantes sont émaillées de couples avec violence, en particulier sexuelle : Abraham vend sa femme Sara à Pharaon qui abuse d’elle (Gn 12); le même Abraham renvoie dans le désert sa servante Hagar qu’il a mise enceinte pour qu’elle y meurt (Gn 16 et 21); l’épouse de second rang du lévite est découpée en morceaux par celui-ci après avoir été abusée toute la nuit : constatez que cet épisode prend place après qu’elle ait quitté son mari car elle se fâcha contre lui, sans que le texte ne précise de motif, mais suffisamment grave pour qu’elle désire retourner vivre chez son père (Juges 19).

Un homme avec le poing fermé face à une femme la tête baissée

En évoquant cette violence au sein de la sphère la plus intime, celle du couple, la Bible rejoint les victimes au cœur de leur réalité douloureuse. Les textes bibliques avec leur réalisme décrivent combien les impasses ou les échecs dans le couple existent, même chez des croyants. Le mal existe, il faut le nommer, le dénoncer, mais il n’aura pas le dernier mot : le Dieu de justice prend le parti des victimes.

Les Évangiles rapportent comment Jésus lui-même a connu l’abus, la violence, celle de la trahison, celle des coups et moqueries alors qu’il est nu, dans la cour du prétoire, devant toute la garnison. Notre Seigneur est compatissant, il comprend ce que ces femmes et enfants traversent. Il est Dieu Emmanuel, présent à leurs côtés. Cela ne suffit évidemment pas pour expliquer le pourquoi de telles tragédies, parce que le mal ne s’explique pas, il se combat. Jésus lui-même n’a pas fait de grands discours sur le mal, la souffrance, il n’explique pas, mais il s’implique.

 

Outre l’attitude incroyable de Jésus envers les femmes, plusieurs paroles du Nouveau Testament viennent aussi délégitimer la violence au sein du couple. La réciprocité révolutionnaire introduite par Paul (le corps de la femme appartient à son mari, le corps du mari appartient à la femme, 1 Cor 7.4) ;  son exhortation à ce que « les maris doivent donc aimer leurs femmes comme ils aiment leur propre corps » (Eph 5.28); l’exhortation de Pierre aux maris à ne pas tirer avantage de leur force physique supérieure, dans une société qui ne valorisait que cette loi du plus fort, mais à vivre avec sa femme en la traitant avec respect, « car elle doit partager, au même titre que vous, l’héritage de la vie comme don de Dieu ». (1 Pierre 3.7)

Malheureusement dans nos Églises, certaines personnes ont tordus ces textes et ont enseigné des hérésies sur le pardon à bon marché (sans réelle repentance), la soumission absolue à l’homme chef de la femme, sans limite à son autorité, incluant le devoir conjugal (en fait viol conjugal) et des violences, physique ou psychique pour « corriger » son épouse. C’est faire violence aux textes bibliques de leur faire dire cela, aucun texte biblique ne peut légitimer la violence conjugale.

L’impératif évangélique de veiller les uns sur les autres, d’aimer son prochain, de rechercher le bien, la justice ne se limite pas au culte du dimanche matin. Nous devons nous sentir concernés par la souffrance des victimes de violence conjugale, en particulier celle qui est assise à côté de moi au culte, ses enfants terrorisés par un père violent. Nous devons dénoncer cette violence sous toutes ses formes. Ce sont nos sœurs, nos filles, nos amies, nos voisines ou collègues qui sont concernées… avant qu’il ne soit trop tard.

Valérie DUVAL-POUJOL

Théologienne Baptiste