Un soldat tirant avec un fusil d'assault

Les chrétiens et la guerre

La guerre en Ukraine, c’est à dire tout près de nous, nous pousse à réfléchir un peu plus sur notre attitude devant ces soubresauts de l’histoire. Ils ont toujours existé mais nous avions l’impression d’en être protégés depuis pas mal d’années dans notre vieille Europe. Les lignes qui suivent ne donnent aucune solution, mais voudraient nous aider à y réfléchir.

Quelques évidences

Toute guerre est un mal et, pour bien des gens, une tragédie. Elle est un des résultats les plus évidents du péché et nous devons abandonner toute idée de la guerre juste, bonne et même parfois belle. Depuis les origines, toute guerre est pleine de « dégâts collatéraux » et là où elle passe, elle fait toujours souffrir des populations entières. Elle est le moment où les lois humaines qui règlent les relations entre les personnes et les communautés s’effacent. Il suffit de penser aux guerres du 20ème siècle tout proche pour se rappeler que, des deux côtés, on a rasé des villes entières avec leurs habitants. Ces massacres ont pu être le fait de soldats à qui la guerre avait fait perdre tout sens moral, mais aussi de gens très bien qui, du haut du ciel, lâchaient leurs bombes sur des villes « ennemies ». Et où que nous regardions dans l’histoire humaine, nous retrouverons les mêmes exactions et horreurs sous des formes un peu différentes. On a bien essayé d’établir des lois de la guerre pour limiter les débordements, mais même si elles peuvent espérer poser une limite au mal, elles sont surtout toujours un peu fictives, symboliques et peu opérantes.

 

Et les chrétiens dans tout ça ?

L’attitude des chrétiens a varié selon les circonstances et les époques, selon la relation entre les Églises et les États, et elle est aujourd’hui encore très diverse. Quelques Églises ont une position tranchée. La plupart cependant, depuis le milieu du siècle dernier, laissent la participation à la guerre à la conscience de leurs membres. Disons que l’acceptation pour les chrétiens d’une participation à un conflit armé est très majoritaire, que l’acceptation de l’objection de conscience existe mais demeure minoritaire. Nous allons essayer, même rapidement, de mieux comprendre ces diverses positions et, un peu plus loin, leurs raisons.

 

La diversité des positions

L’Église des trois premiers siècles est très minoritaire et étrangère au pouvoir dans l’empire romain. Elle est donc radicalement non-violente. Un chrétien ne peut pas être soldat. Au fur et à mesure que le statut des chrétiens dans l’empire va s’améliorer et qu’ils vont être plus acceptés, les règles de l’Église changent. On pourra être soldat, mais tuer demeure interdit. Ensuite cela deviendra acceptable, mais on imposera de fortes pénitences à ceux qui auront tué dans la guerre. Et dès que l’empire deviendra chrétien, la participation à la guerre sera alors un devoir et saint Augustin considèrera que celui qui tue des ennemis est « serviteur de la loi ».

Rappelons-nous qu’ensuite, durant le moyen-âge et bien au-delà, tout le monde est chrétien en Occident, à part une petite minorité de juifs. La théologie va réfléchir aux conditions de la « guerre juste » (guerre défensive, avec des moyens appropriés et limités…) et l’Église va essayer d’encadrer autant que possible les conflits par des lois. Car les seigneurs -comme plus tard les nations – qui s’affrontent sont tous chrétiens et membre de l’Église du Christ.

Au 16ème siècle, la Réforme va être l’occasion de conflits très violents auxquels catholiques et protestants réformés ou luthériens participeront. Et si le protestantisme français a surtout en mémoire les persécutions subies sous Louis XIV, il a auparavant participé sans hésitations aux guerres de religion et les horreurs ont été bien partagées. Seuls, à cette époque, les anabaptistes qui deviendront ensuite les mennonites, et qui sont aussi les seuls à ne pas être liés à un État, auront une attitude radicalement non-violente, refusant toute participation à la guerre comme à d’autres formes de violence, même pour leur défense. Cette position, qui sera aussi celle des Quakers, demeure très minoritaire. L’accompagnement des guerres restera la norme jusqu’à aujourd’hui, même si la conscience chrétienne, plus minoritaire en Occident, est plus sensible qu’autrefois à l’horreur de la guerre et à la valeur de la non-violence.

 

Les fondements des deux attitudes

On a écrit bien des livres sur ce sujet, mais nous pouvons essayer de faire un rapide survol.

Deux raisons ont sans doute poussé les chrétiens des premiers siècles à s’opposer à la participation aux guerres de l’empire. L’enseignement du Christ, bien sûr, et en particulier celui sur l’amour du prochain et même de l’ennemi, tout particulièrement dans le Sermon sur la montagne (Mt 5-7). Mais il est probable que les rites païens et l’adoration de l’empereur qui se pratiquaient dans l’armée romaine étaient une autre raison. Cependant dans les règles des Églises de l’époque, c’est le fait de tuer qui posait le problème principal.

On va retrouver chez les anabaptistes du 16ème siècle la même radicalité dans la manière de se vouloir disciples de Jésus. L’amour de l’ennemi empêche de lui nuire et, encore plus, de le tuer. Il faut préciser aussi que ces anabaptistes étaient persécutés partout, dans les régions protestantes comme dans les pays catholiques car leur conviction que l’Église n’était pas la fonction religieuse d’une société mais la communauté des disciples du Christ n’était pas facilement imaginable à l’époque. La persécution qu’ils ont subie était sans doute plus politique que religieuse.

A l’inverse, pour beaucoup d’autres chrétiens de toute tradition, (dont la plupart des baptistes ou des évangéliques en général) les raisons de participer à la guerre étaient aussi nombreuses. Lorsque toute la population est chrétienne (mais pas nécessairement avec une foi très affirmée), le chrétien est simplement un sujet du prince ou un citoyen de la nation. Il fait donc la guerre quand l’autorité légitime le lui demande. Bien des théologiens fonderont cette obéissance sur les paroles de Paul concernant la soumission aux autorités (Ro 13.1-7). On essaiera de limiter les exactions par des lois de la guerre et on distinguera alors les guerres justes de celles qui ne le sont pas. La lecture de l’ancien testament avec ces si nombreuses guerres, parfois commandées par Dieu, rendait ces conflits assez acceptables. Bien des chrétiens considéraient (et sans doute certains le font encore) tout guerre voulue par leur gouvernement comme voulue par Dieu, légitime et donc requérant leur obéissance.

Mais au fil du temps et devant le développement des guerres (particulièrement avec les guerres mondiales du 20ème siècle) et des moyens de s’entretuer (avec la bombe atomique par exemple, mais aussi bien d’autres méthodes), la conscience humaine est devenue plus sensible, en tout cas dans nos pays, à l’absurdité et à l’horreur des guerres. Et cela est tout particulièrement vrai de bien des chrétiens qui ont de plus en plus de mal à articuler l’enseignement de Jésus et la participation à la guerre.

Néanmoins, une question demeure qui empêche beaucoup de chrétiens d’être non-violents, c’est celle de la défense de son pays ou de la justice lorsqu’ils sont violemment attaqués par un adversaire sans scrupules. Certains considèreront qu’une résistance non-violente active et courageuse est la solution « la plus chrétienne » : accepter de donner sa vie mais sans prendre celle de l’autre. Mais beaucoup considèreront que cela reste un peu idéaliste, n’arrêtera sans doute pas l’adversaire et qu’il est de leur devoir de s’opposer à lui.  Bien de chrétiens sont convaincus que toute guerre est un mal, mais que certaines sont nécessaires comme moindre mal, pour protéger des populations. Cette dernière attitude est sans doute la plus partagée dans les Églises. L’existence même des aumôneries militaires catholiques, protestantes et autres, va manifestement dans ce sens.

 

Pour conclure

Le chrétien d’aujourd’hui n’accepte plus la guerre comme un glorieux devoir. Il a conscience de son horreur et de l’impossibilité de la faire en gardant le cœur pur et les mains propres. Mais, dans des situations créées par le péché, il peut arriver qu’aucune attitude ne soit « parfaitement juste ». Et participer à la guerre peut alors devenir un moindre mal, voire un mal nécessaire. C’est à chacun de prendre la décision en son âme et conscience.

Mais sans doute on peut ajouter aujourd’hui que la participation à une guerre ne va jamais de soi, même si elle est demandée par le gouvernement de notre pays. Si, dans les Églises chrétiennes, l’objection de conscience n’a rien d’obligatoire, elle doit toujours rester une éventualité possible. Le respect dû au gouvernement de notre pays ne doit jamais nous dispenser de notre responsabilité de disciple de Jésus-Christ. Pour illustrer cette affirmation, que l’on pense simplement pour ce qui est de la France à la guerre d’Algérie ou, en ce qui concerne l’actualité, à la différence entre les situations du chrétien ukrainien ou du chrétien russe que leur gouvernement appelle à participer aux combats…

 

Louis SCHWEITZER