La fin de l’abondance, un regard théologique

Le 24 août 2022, en ouverture du conseil des ministres de rentrée, notre président de la République sonnait la fin de l’abondance. Il désignait par là non pas la fin d’un temps où chacun vit personnellement dans l’opulence (tout le monde sait que ce n’est pas le cas), mais le basculement d’un régime économique où les ressources sont disponibles en abondance à un régime où les ressources sont rares, et donc plus chères.

Ce basculement engendrera certainement un mode de vie occidental plus sobre, mode de vie que plusieurs appellent de leurs vœux depuis longtemps déjà, pour des raisons écologiques. Face à l’effondrement de la biodiversité, la surconsommation des ressources de la planète et le réchauffement climatique, la sobriété devrait être, selon certains, un objectif vers lequel tendre afin de permettre à l’ensemble de l’humanité de continuer à vivre dignement.

Quel regard théologique poser sur ce basculement et sur les discours qui l’accompagnent ? Qu’a à dire la Bible sur la sobriété, sur les ressources de la Terre et leur gestion, ou encore sur l’anxiété que peuvent générer de tels changements ?

La responsabilité de l’être humain dans la gestion des ressources

Dès le commencement, le Créateur a donné mandat à l’être humain pour gérer le monde et ce qui s’y trouve en ces termes (Gn 1.26-29) :

« Dieu dit : Faisons les humains à notre image, selon notre ressemblance, pour qu’ils dominent sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur toutes les bestioles qui fourmillent sur la terre. Dieu créa les humains à son image : il les créa à l’image de Dieu ; homme et femme il les créa. Dieu les bénit ; Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui fourmillent sur la terre. Dieu dit : Je vous donne toute herbe porteuse de semence sur toute la terre, et tout arbre fruitier porteur de semence ; ce sera votre nourriture. »

Le vocabulaire de la domination et de la soumission de la création peut prêter à confusion. Quelques-uns l’ont lu comme une autorisation d’user et d’abuser de la création et de ce qu’elle contient. Il faut cependant noter qu’il s’agit d’un vocabulaire royal, et que dans la Bible, le mandat que Dieu donne aux rois de son peuple exclut sévèrement toute domination de type tyrannique (voir Ez 34 par ex.). De plus, la souveraineté de l’être humain sur la création décrite ici est une souveraineté relative. Le mandat lui est donné à l’impératif, c’est un ordre à une créature qui reste donc subordonnée à son Créateur. La terre appartient à Dieu, et l’être humain n’en est que le gestionnaire. « [C]omme un berger, écrit Henri Blocher, il dominera les animaux, en vue de leur bien comme du sien propre. » (Révélation des origines, p. 84).

Ce texte biblique pose donc un certain nombre d’éléments fondamentaux concernant la gestion des ressources de notre planète. Tout d’abord, l’être humain n’est pas dieu sur terre, et le salut (le sien ou celui de la planète) ne viendra pas de lui. Mais, deuxièmement, l’être humain n’est pas le propriétaire absolu de la création. Il aura à rendre compte de sa gestion au véritable propriétaire, et doit respecter certaines limites fixées par Dieu dans la jouissance des biens de la planète (par ex., dans l’Ancien Testament, les Israélites devaient respecter le sabbat des animaux). Enfin, troisièmement, ce texte fonde la responsabilité de l’être humain dans la création. Celui-ci n’est pas un animal comme les autres. En temps de crise, il ne doit pas se retirer du devant de la scène pour rejoindre le rang des autres mammifères, mais au contraire assumer pleinement le mandat qu’il a reçu. Nous pouvons ainsi investir cet objectif de sobriété, énergétique notamment, avec cette perspective : être de bons gestionnaires des biens dispensés par Dieu, par amour du Créateur, et par amour de notre prochain avec qui nous souhaitons partager les moyens d’une vie digne.

La sobriété évangélique

Remarquons encore que l’Évangile ne nous invite pas à une prospérité égoïste, mais plutôt à une vie qui fait de la recherche du royaume de Dieu la priorité (Mt 6.33). L’être humain ne se nourrira pas de pain seulement (Mt 4.4), encore moins de tout autre bien de consommation, mais il se rappellera que la vie vaut plus que la nourriture et le corps plus que les vêtements (Mt 6.25). Jésus déclare même ses disciples heureux, dans la perspective de l’héritage du royaume, malgré leur pauvreté matérielle (Lc 6.20).

Il ne s’agit pas nécessairement d’exclure tout superflu ou tout plaisir de notre mode de vie. Jésus lui-même a participé à de bons repas, et a changé l’eau en vin lorsque celui-ci est venu à manquer lors d’un mariage (Jn 2.1‑12). Mais il s’agira pour nous d’être lucide dans la distinction entre ce dont nous avons besoin et ce dont nous avons envie, en cherchant à vivre en dessous de nos moyens afin d’avoir de quoi être généreux et partager les ressources de la terre avec tous (Dt 24.19‑22).

Cette sobriété due à la raréfaction de certaines ressources, nous pouvons ainsi la choisir plutôt que de la subir, à cause de l’Évangile. Et à la suite de l’apôtre Paul, nous pourrons dire que nous savons vivre dans le dénuement comme dans l’abondance, que nous savons nous contenter en toute circonstance, dans l’opulence ou dans le besoin (Ph 4.12-13).

L’espérance comme une ancre dans un monde en crise

Comment vivre de cette sobriété sans s’inquiéter du lendemain ? Comment assumer notre responsabilité collective et humaine dans un monde en crise, sans sombrer dans l’anxiété ?

Face à ces questions légitimes, et face au bouleversement que vit notre monde, l’espérance chrétienne me semble être une ancre solide contre l’angoisse. Nous avons l’assurance que l’héritage du monde nous est acquis par la mort du Christ à la croix (voir Rm 4.13). Nous qui sommes unis au Seigneur par l’Esprit, nous vivrons sur la terre renouvelée (Rm 8.18-25) et nous y régnerons avec le Christ (Ap 1.6 ; 5.10 ; 22.5). Avoir une telle espérance, ce n’est pas nier les souffrances réelles que subissent aujourd’hui la création et les êtres humains qui y habitent, mais c’est avoir confiance que rien n’empêchera le projet de salut de Dieu de se réaliser.

Quelle terre laisserons-nous aux générations futures ? Ultimement, cette question est résolue par le Christ. À tous ceux qui ont mis leur confiance en lui, l’héritage de la terre renouvelée, là où il n’y aura plus ni larme, ni souffrance, ni injustice, est assuré. En ce temps où la fin de l’abondance a été sonnée, serons-nous alors les signes, par nos paroles, nos actes et notre mode de vie, de ce projet de Dieu pour le monde ?

Pour aller plus loin


Frédéric BAUDIN,
La Bible et l’écologie,
Éclairages, Charols, Excelsis, 2020.

Thomas POËTTE

 

Crédit photo : What Is Picture PerfectAmir Hosseini on Unsplash